Bords Perdus est un projet photographique qui a débuté en 2013 par l’étude des territoires de mon enfance en Nord-Isère.
J’ai grandi à la frontière d’une zone industrielle, lieu de passage sans véritable histoire mais empreint d’une culture nouvelle très sensible. Enfant des lotissements des familles de classes moyennes, j’ai grandi dans une sorte de maison Lewitt, la même que mon voisin, sans âme mais du bon côté de la barrière sociale. Afin d’échapper à cette morosité chronique je me suis forgée, au milieu de cette tôle et de ces crépis mal vieillis, une poésie du quotidien. Culture propre aux enfants des années 90, enfants de la mondialisation aux rêves cristallisés par l’émergence de nouveaux outils de communications et de révoltes silencieuses. Je cherche dans ma pratique photographique à rendre compte de cet état des lieux silencieux avec mon regard discret en parcourant des espaces qui me sont propres, qui me sont chers, avec l’envie de les valoriser. Ce projet consiste à mêler paysages urbains et portraits d’habitants à la manière d’une scène de théâtre avant une représentation, momentanément vide, seuls les décors persistent. Ayant grandi dans ces rues les contacts se font assez naturellement, déjà enfant je me baladais avec un faux appareil et jouais à la photographe. Quelques années plus tard, me revoilà avec un vrai appareil et des vraies envies de portraits. Se passe alors un nouveau dialogue entre mise en scène et naturel. J’éprouve un bien-être total dans ce rôle du témoin isolé, personne ne comprend pourquoi je souhaite photographier cet endroit, tous convaincus de la laideur et pesanteur des lieux. Je raconte que pour moi, ici, c’est un bastion de familiarité dans lequel je me sens bien et dans lequel je vois une vraie beauté. Une beauté sale et froide certes mais qui m’a accueilli et qui se personnifie aujourd’hui dans mes souvenirs. Chaque lieu me raconte une histoire. Clôtures, routes, parkings, plots, murets... ces intrigues se déroulent bien souvent dans des espaces intermédiaires en marge, des bords perdus. La présence et l’usage de ces zones-limites dans le vocabulaire plastique induit une ambivalence propre à la dualité des modèles. Ces corps sont contraints par l’espace, pas tout à fait dehors, pas entièrement dedans, ces jeunes se tiennent physiquement et symboliquement à la lisière de l’à-venir.